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Léonarda
De Guillaume KOZAKIEWIEZ, 2007, 71’

Léonarda est le film d’une rencontre, au Belarus, d’un arrière petit-fils et de son aïeule, d’un « vagabond capitaliste » et d’une paysanne catholique. Le cinéaste et la vieille femme forment un couple magique, improbable qui vit ces moments à deux hors de tout… Mais, au fil des voyages et des saisons, la réalité de chacun les rattrape et peu à peu la magie se retire.

Le mot du réalisateur

Franciszek, mon arrière-grand-père, aurait eu 101 ans cette année.

En 1930, il a 25 ans et laisse derrière lui la Pologne, sa mère, quatre frères et une sœur. Une vie d’ouvrier agricole. Il ne reverra jamais la Pologne.

A 25 ans, je décide de faire le chemin inverse, dans l’espoir de rencontrer les enfants de ses frères et sœurs.

J’ai trouvé sur une carte de 1930, Czurki, le village natal de Franciszek. C’est aujourd’hui en Belarus et non plus en Pologne, les frontières ayant considérablement changé après la seconde guerre mondiale.

Je suis parti en Juillet 2005, seul, avec un sac, un dictionnaire, une caméra, le passeport franco-polonais de Franciszek et la seule lettre qu’il ait reçue de sa famille, datée de 1935.

J’ai retrouvé Léonarda, nièce de mon arrière-grand-père, elle vit aujourd’hui à Pachkichki, un village à 8 km de Czurki, appartenant au même kolkhoze.

[…] Le premier séjour que j’ai passé chez Léonarda fut magique. Nous ne pouvions pas nous comprendre par la langue, mais peu importe. Nous étions ensemble. Elle m’adopta comme son petit-fils. Je la considérais très vite comme ma grand-mère. Nos yeux brillaient chaque fois qu’ils se croisaient, nos mains faisaient des dessins en l’air et finissaient sur la nappe pour y mimer nos idées, les voix se chevauchaient jusqu’à ce que les rires se mélangent et forment l’unisson qui nous liait enfin…

Guillaume Kozakiewiez


Voilà un film qui commence bien. La voix du réalisateur nous prévient : « la réalité finira toujours par s’imposer, mais elle n’effacera rien. »

Et pourtant, la réalité s’abat sur nous en nous proposant de suivre un dialogue étonnant entre une vieille paysanne de Biélorussie et l’homme à la caméra dans une langue inconnue de lui et de la plupart des spectateurs.

La merveille du film est d’ériger d’emblée une barrière linguistique que, comme le réalisateur, nous apprenons à surmonter peu à peu. Absent au début du film, le sous-titrage volontairement lacunaire nous force à vivre cette expérience exigeante qu’est l’apprentissage de l’altérité, l’étrange langue de l’autre.

Parti à la recherche de ce qui reste de la famille de son grand-père arrivé en France dans les années 30, et muni comme tout viatique de quelques photocopies de documents établis par les services de l’immigration française de l’époque, le jeune Guillaume affronte hardiment la malice et les silences d’une vieille parente éloignée, Leonarda. La relation qui s’établit entre eux est une sorte d’hommage involontaire à Joseph Mankiewicz et son cinéma de la duperie et des faux-semblants, parfois cruels.

Le jeune homme de bois tendre essaie d’amadouer une vieille femme racornie par les épreuves de la vie, paysanne qui sait depuis toujours que son destin est de subir dans un pays bouleversé par les revirements de l’histoire, où supporter un régime fort peu démocratique apparaît comme un moindre mal. Son village kolkhozien a traversé entre autres la collectivisation stalinienne et les affrontements de la deuxième guerre mondiale.

Un commissaire politique, Watzek fils de Leonarda, est à la manoeuvre et contrôle les paroles de ceux qui se laissent filmer, veillant à ce que rien ne puisse susciter le courroux d’en haut.

Filmé avec une qualité de cadre absolument étonnante, Léonarda (le film) est un travail stimulant sur le statut de la langue. On y entend un dialecte local et le russe que manie Leonarda, la langue de bois de la radio et de la télévision d’Etat, l’anglais occasionnel qui relie les jeunes européens et les balbutiements et inventions linguistiques de l’auteur, lancés au fil du sens et des situations.

Le couple que forment Leonarda et le réalisateur, hautement improbable et jouissif pour le spectateur se transforme au gré des voyages successifs vers la Bielorussie. « Je comprends mieux la langue, » finit par dire Guillaume Kosakiewiez, « mais je ne me suis jamais senti plus étranger. »

Rien ne s’efface cependant de l’humanité de cette relation, la réalité ne recouvre pas tout.

Hervé Nisic

Sélection Incertains Regards, Etats généraux de Lussas 2007


Production, distribution : Mille et Une Films