Je raconte une petite histoire de mon arrivée en France. Je suis d’origine afghane. Mon arrivée sur Aurillac, c’est un hasard. Au départ de l’Afghanistan, on était cinq. A chaque pays qu’on a traversé, on fait du stop pour visiter le pays : l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie, pareil. Le dernier pays, c’est la France. On voulait partir en Angleterre. En fait, la France, on va aller un peu partout. Parce que nous, comme deuxième langue, l’anglais, pour les Afghans c’est plus facile. Pour donner les papiers c’est plus facile aussi. Plus que la France à l’époque... Moi je voulais pas rester en France. On a décidé les cinq de partir de Paris. Tout le monde avec sac à couchage, tout ça, on fait le stop et au hasard on arrive à Clermont-Ferrand.
Un camion nous embarque pendant l’été, au mois d’août, et il nous amène à Clermont Ferrand. Et là, un jour, c’est mon tour en fait d aller au magasin chercher la nourriture, la boisson. Il y en a toujours qu’un qui rentre dans le magasin et les autres, ils regardent parce qu’on n’a pas de carte d’identité ni de passeport. Ça nous fait peur d’être arrêté. On évite parce qu’on se dit : s’il y en a un qui se fait choper, l’autre qui fuit. Voilà. Parce qu’ils peuvent prendre les empreintes. Et s’il prennent les empreintes, ça ne sert plus à rien d’aller aux autres pays.
Et les endroits où ils te prennent les empreintes, les digitales, elles te renvoient au même village, à Aurillac, à Clermont-Ferrand, à Figeac. Où tu as été pris. A l’époque, les empreintes digitales , on ne les prenait pas à Aurillac, elles existaient à Clermont-Ferrand. Donc, on s’est dit : on va à Aurillac . Moi, une fois arrivé à Aurillac, je vais dans le centre-ville, je prend les boissons, tout ce qu’il faut, j’arrive devant la caisse, mais il y a deux personnes qui me regardent en travers, elles regardent une photo dans la main et elles me regardent moi. Comme à l’époque on n’avait pas assez d’argent pour acheter le portable et les autres, dehors, ils me font le signe de ne pas sortir. Moi je dis c’est pas possible parce que derrière moi il y a beaucoup de monde en fait et je suis devant la caisse, il y a toujours les deux personnes qui me regardent et je suis sûr c’est la police. Je peux pas fuir en fait : dans le magasin pas une porte de sortie. J’ai pas le choix j’arrive devant la caisse, l’un des deux sort sa carte et en fait c’est bien la police. J’ai suivi et tout de suite ils m’ont cagoulé. Ils me montrent une photo, j’étais tellement stressé que je dis c’est moi, c’est moi. Ils me cagoulent et il m’embarquent. Ils m’ont même pas posé de questions, rien du tout, je restais dans la voiture, je ne savais pas si les autres avaient réussi à partir. Moi je parlais anglais, personne ne parlait anglais à la police, personne ne me répond. Moi je commence à parler : « hello, can you speak ? ». Je parlais en anglais, vous pouvez me répondre pourquoi ? Je me rappelle maintenant, ils m’ont dit tais-toi, tais-toi. Maintenant je sais ce que ça veut dire tais-toi, voilà, tais-toi. Ils m’ont emmené à Clermont-Ferrand. Ils ne m’ont même pas demandé quel âge. Rien du tout en fait. Parce que j’ai 16 ans à l’époque. Ils n’ont pas le droit déjà les menottes, les cagoules. Ils ont pris les empreintes, tout ça, la photo.
Apparemment, il cherchait un mec qui a poignardé en fait, à Clermont-Ferrand. Mais quand ils m’ont pris les photos, les empreintes, tout ça, les digitales, déjà que je ne voulais pas prendre les empreintes digitales. Là, je n’ai pas le choix, ils m’ont forcé. Et puis ils me disent : c’est bon, tu peux aller. Mais je dis non je veux pas aller. Je suis resté en fait sur ma chaise, je veux pas aller, il faut l’appeler un interprète. Personne ne parle anglais en fait. J’ai appelé l’interprète parce que pourquoi vous m’amenez ici, il faut que je le sache. Vous m’avez même pas demandé les cartes d’identité et tout, vous m’amenez au commissariat et là on me dit que vous pouvez aller. Où je vais ? Je vais nulle part. Je suis assez énervé. A l’époque, l’interprète afghan, c’est très dur de le trouver. Je lui ai dit d’appeler un Iranien. Moi, je parle iranien aussi. Ils ont trouvé un Iranien, ils ont appelé l’Iranien. Je lui ai dit : écoute, moi j’aimerais bien savoir pourquoi ils m’ont appelé ici, pourquoi ils ont pris les empreintes. Il faut qu’ils m’effacent les empreintes, que je sorte de là. Sinon, je ne sors pas d’ici. Ils m’ont dit, nous on ne peut pas parce que vous êtes rentrés dans le système. Ça, ça veut dire un procès, c’est long, ça prend un an. Je ne sais pas, il faut l’avocat, machin, tout ça. J’ai dit, c’est long, moi je ne peux pas. Il m’a dit que tu as deux possibilités, soit tu restes à Clermont-Ferrand, comme tu es mineur, tout ça, soit on t’a envoyé dans la ville où on t’a embarqué. Et moi, Aurillac, comme j’ai vu les spectacles (NDLR : le festival de théâtre de rue), il y a beaucoup de monde, tout ça, je me dis que c’est plus grand que Paris. Je dis écoute : « moi je vais à Aurillac, la ville où vous m’avez pris ». Ils m’ont emmené à Aurillac, j’ai descendu le parking des graviers (NDLR : une place de la ville où il y a beaucoup d’animations durant le festival de théâtre de rue), je regarde, « c’est ici ?. Moi je reste pas ». Il n’y avait plus personne. « Ah si ! » ils m’ont dit. Je me dis : mais ils sont où les gens, ils sont où ?
Le festival était fini.